« ... C’était un château situé au bord d’un magnifique étang d’eau vive, et entouré
de hautes montagnes couvertes de forêts qui s’étendaient dans toutes les
directions à plusieurs lieux à la ronde. Des forges, quelques chaumières habitées
par des charbonniers, bordaient les rives de l’étang et formaient un petit village
aussi agreste que le site au milieu duquel il était placé. »

« Les gentilshommes chasseurs »

Marquis de Foudras
Editions littéraires et artistiques
1848 - Paris

Un peu d'histoire

     Le premier seigneur d’Ecot dont on ait retrouvé les traces avait pour nom Girard et vivait en ces lieux vers 1090 dans une
grosse bâtisse fortifiée. Il était un vassal du seigneur de Reynel.
Par la suite l’on retrouve dans les écrits les noms d’Henri d’Ecot en 1211 puis celui d’Hugues d’Escoz cité dans les récits du
Sire de Joinville. « Là fut navré Monseigneur Hugues d’Escoz de trois glaives au visage » est ainsi rapportée la fin glorieuse
du chevalier d’Ecot, serviteur de Louis IX (St Louis), à la bataille de Mansourah, en février 1250, lors de la 7e croisade. Son fils
Jourdain d’Escoz, né en 1229 au château du même nom, croisé depuis 1248, est blessé en lui portant secours et fait prisonnier.
Il restera en terre sainte jusqu’en 1254 date de sa libération suite au paiement d’une rançon.

     Nous gardons aussi des témoignages de cette époque
moyenâgeuse grâce à la conservation de certains sceaux dont ceux
de Gautier seigneur d’Ecot remontant à la deuxième moitié du
XIIIe (1260), et du Chevalier Geoffroy d’Ecot vers 1321. Datant du
XIVe siècle, celui de Blanche d’Ecot qui succéda à son père Jean,
seigneur des lieux, est singulier. Il représente deux chiens aboyant
qui entourent un fol (fou).

     La première branche des seigneurs d’Ecot s’éteignit au XIVe siècle en même temps que fut détruit le château au cours des guerres. Ce sont les bourguignons et la famille Mailly qui, à partir du XVe siècle, reconstruisirent le château dont il ne reste actuellement qu’une partie. Le domaine fut érigé en baronnie au XVe puis en marquisat au XVIe siècle.

     La famille Capizuchi, remontant aux carolingiens et originaire d’Italie, ayant migré en France sous François Ier, fut maître
des lieux entre le XVIIè et XVIIIè siècle. Elle a compté parmi sa descendance des cardinaux de haut rang. Le Marquis Charles
Camille de Bologne-Capizuchi (1717 - 1793), général de Louis XV, vainquit les turcs au siège de Vienne. Passionné de vènerie
il organisait des chasses qui sont restées à la postérité. A l’époque le marquis avait installé sa meute de 50 chiens dans la
maison basse du chenil dominant l’église et l’étang.
Le relais de chasse original et bien conservé du "Chasseur" est le témoin de ces mémorables et grandioses parties de chasse
à Ecot immortalisées par les récits cynégétiques du marquis de Foudras (1800-1872) qui était son neveu.

«  Le marquis de Bologne avait toujours aimé la chasse avec passion … C’était dans l’hiver
1791. J’arrivai fort tard à Ecot par un temps effroyable. Une neige mêlée de pluie, qui gelait
en tombant, rendait les chemins impraticables, et les chevaux de poste de Chaumont, qui
m’avaient amené, s’étaient abattus plus de cinquante fois pendant un trajet de cinq lieues. Je
trouvai le marquis de Bologne assis dans sa cuisine devant un grand feu de fagots, auquel on
aurait pu facilement cuire un bœuf. Ses deux pieds dressés dans l’âtre et débarrassés de leurs
chaussures, fumaient comme s’ils eussent été placés au dessus d’une chaudière remplie d’eau
bouillante  … Prenez garde, Monsieur me dit le domestique qui était venu me recevoir à l’entrée
du vestibule et qui m’introduisait dans la cuisine. En prononçant ces mots il baissa la chandelle
dont il s’était servi pour m’éclairer, et je vis sur les dalles deux masses noires dans lesquelles je
me serais jeté sans l’avertissement que je venais de recevoir. C’était deux énormes sangliers qui
avaient, ce jour-là, payé le tribut à la passion jeune du marquis de Bologne.»

« Les gentilshommes chasseurs »

Marquis de Foudras
Editions littéraires et artistiques
1848 - Paris

     Le marquis, dernier représentant de la famille Bologne-Capizucchi, mourut sur l’échafaud de la terreur en prononçant
ces mots restés célèbres: « Je donne mon âme à Dieu, mon cœur au Roy et mon cul à la république». L’aile ouest du château
fut détruite et deux «arbres de la liberté» furent plantés à l’entrée Ouest de la digue. De ces deux majestueux tilleuls il ne
reste qu’un congénère qui résiste encore aux assauts du temps et des intempéries.
Par la suite, le comte Louis François de Beurges (1782-1860) de Reynel, député de la Haute-Marne, devint le châtelain d’Ecot
vers 1847. Il fit ériger l’église dédiée à la nativité de la vierge. Son fils Henri Charles, propriétaire entre autre des forges de
Manois, est décédé à Écot en 1912. Sa fille était une amie d’enfance de l’épouse de Paul Verlaine qui séjourna probablement
dans ces lieux si romantiques…

     Mais l’étaient-ils vraiment à cette époque ? Car la métallurgie a été très longtemps présente sur le site d’Écot dont
il garde de nombreux vestiges. Citée sur le domaine dès 1586, elle s’est constamment développée depuis cette époque
alimentant en particulier les armées en boulets de canon puis en baïonnettes. Ce sont les frères Michel, bailleurs du
marquis de Bologne et maîtres de forges de père en fils de 1768 à 1839, qui l’ont développée sur le site jusqu’au rang
d’industrie. Le complexe comprenait au plus fort de sa richesse 3 usines. En contrebas de la digue deux affineries et
un brocard à crasse étaient installés. En aval, la Guinguette possédait un haut fourneau, un patouillet et une affinerie.
Encore plus en aval, à la Batterie, l’on trouvait une affinerie, un martinet et une fenderie.
L’âge d’or se situe au début du XIXe siècle où l’industrie locale produisait 500 tonnes de fonte l’an avec 1270 tonnes
de charbon de bois confectionné grâce aux forêts environnantes. Les usines employaient 36 ouvriers, 75 forestiers et 64 voituriers habitant au village.
Mais à partir de la 2e moitié du XIXe siècle elle s’essouffle pour disparaitre avant le début du XXe supplantée par les nouvelles technologies et la sidérurgie industrielle, poussées par l’essor considérable des machines à vapeur et du rail.
Depuis le domaine a retrouvé calme et sérénité. Frédérique Châtel, industriel originaire de Montbéliard, croix de guerre
14-18, en devint propriétaire en 1919 après avoir eu un coup de foudre. L’une de ses premières actions fut de reconstruire
l’aile Est de la digue emportée par les fortes eaux de 1916.

     Bertrand Châtel était le dernier de ses six enfants. Né à Écot en 1922, compagnon de la France libre, il participe à la campagne d’Italie puis au débarquement de Provence en août 1944. Lors de la reconquête vers le Nord il effectue en personne aux commandes de son véhicule de reconnaissance, la jonction entre les deux armées françaises à Nod sur Seine avant de perdre un œil, emporté par un éclat d’obus de 88 mm d’un panzer du général Rommel, à Belfort, terre de ses ancêtres(1).
Par la suite il effectuera une partie de sa carrière au département sciences et technologie de l’ONU.
Du domaine familial il a pu conserver l'étang et sa digue et de nombreux bâtiments dont la porterie du château, le presbytère, le chasseur et le potager. Suivant son oeuvre, ses enfants s'attachent à maintenir ce patrimoine en état, à faire vivre sa mémoire et à valoriser ce site unique tout en préservant son authenticité et son âme.
La combe des eaux bleues, l’association Arts d’Ecot et la journée du patrimoine en sont les plus vivants témoignages.

(1) Faits d’armes relatés dans le livre  «  Combats  ». Bertrand Châtel

Etymologie

     Un écot est, selon la définition du dictionnaire, un tronc d’arbre partiellement élagué. C’est aussi le meuble héraldique du
blason d’Écot-la-combe. Le terme germanique « skot » duquel dérive les termes de vieux français « scot » (branche morte)
et « écoter » est séduisant et pourrait donc expliquer l’origine du nom d’Ecot-la-combe. Cette thèse est toutefois fortement
controversée.
En effet, pour d’autres l’ancienne écriture Escoz proviendrait du latin « scotis ou scota », littéralement écossais, dont on
retrouve un indice dans « via scotum » pour la route des écossais qui passait par là. N’oublions pas que de nombreux
Barons britanniques portaient des noms français soit par les conquêtes normandes, soit par mariage et alliance. Mais c’est
surtout la fuite de leur pays, occupé et dévasté par les anglais, par de nombreux chevaliers écossais qui accréditerait cette
piste écossaise. Servant alors dans les armées du continent ils se voyaient fréquemment dotés d’un fief. D’ailleurs la cour
de Champagne avait de nombreux liens matrimoniaux avec des seigneurs anglo-normands.

     Mais l’origine du nom du village et du patronyme des chevaliers d’Escoz, admise actuellement, proviendrait des
mots celtes « esc » et « escotum » qui signifient eau ou lieu abondant en eau. Et la géologie serait la « source » du nom
d’Écot-la-combe. En effet la région calcaire possède un relief de type karstique. Les eaux de ruissellement s’infiltrent très
rapidement dans le sol. Et le nom de la rivière Sueurre exprime très bien la variabilité de son niveau en fonction des
intempéries et des saisons. Aussi le plateau est sec alors que les eaux s’écoulent soit sous terre, soit en fond de vallée ou
dans les combes. Celle d’Ecot, recèle de nombreux aquifères en particulier la rivière Sueurre en partie souterraine, les
sources « des trois fontaines » et les résurgences en queue d’étang.

Une géologie et une hydrologie remarquables

     Bien que d’une altitude moyenne faible la Haute-Marne est considérée comme le « château d’eau » du Nord-Est de la
France. Le département est riche de 500 rivières dont l’Aube, la Marne et la Meuse qui y prennent leur source. Il possède
de nombreux étangs et des réservoirs artificiels dont le lac du Der, plus grand plan d’eau artificiel d’Europe avec ses
4800 ha, et les 4 lacs du pays langrois. Le département est constitué aux 2/3 de plateaux calcaires où l’eau peut s’écouler,
s’y infiltrer et effectuer son travail d’érosion.

Écot la combe est un exemple démonstratif de l’action
physique et chimique de l’eau sur les sols calcaires, qui y
façonne le paysage et créé des curiosités remarquables.
Hormis la combe au fond de laquelle Écot est blotti, la
commune compte sur ces terres d’autres formations
typiques du relief karstique actif.

Le gouffre de la « peute fosse », qui sert de trop plein en
cas de grandes eaux, est en fait un aven effondré et un
témoin du riche réseau souterrain de la rivière Sueurre tout
comme les résurgences du fond de l’étang et les sources
karstiques des 3 fontaines. Enfin, certaines portions du lit de
la Sueurre sont ornées de somptueuses et fragiles vasques
de tuf alors qu’en été d’autres voient leur eau disparaître
dans des pertes(2). Ces différentes curiosités peuvent être
l’objet de très belles promenades.

Parmi d'autres curiosités géologiques remarquables du département citons :

(2) Perte (de rivière). Lieu et phénomène de disparition naturelle totale ou partielle d’un cours d’eau de surface permanent ou temporaire dans le sous-sol, par infiltration ou
par engouffrement, en domaine karstique principalement. Dictionnaire Français d’Hydrogéologie  (1977)

Le glorieux passé métallurgique de la Haute-Marne

La Haute-Marne, château d’eau de l’Est de la France, possède un riche réseau de rivières comme la Marne, l’Aube ou la Meuse et de belles étendues boisées. Grâce à l’eau et au charbon de bois, l’homme a pu exploiter très tôt le minerai de fer extrait de ses gisements. En témoigne l’acquisition, en 1156 et 1157, par les moines des abbayes de Clairvaux et de La Crête, des droits d’exploitation des forêts de Wassy pour leurs forges.


La Haute-Marne devint vers le milieu du XIXe le premier département métallurgique de France et fournissait 20% de la production nationale. Les maîtres de forges étaient des personnalités riches et influentes. L’œuvre des frères Michel, installés à Ecôt-la-Combe, est représentative de l’âge d’or de la métallurgie en Haute-Marne et de cette fulgurante épopée industrielle aujourd’hui disparue.


A Ecôt-la-combe s’il existait une forge dès le XVe, les productions métallurgiques plus conséquentes sont notifiées à partir de la fin du XVIe siècle. On y façonne essentiellement des boulets de canon. La métallurgie prend son véritable essor industriel après la construction en 1754 d’une digue monumentale, barrant le cours de la Sueurre. par le propriétaire du domaine de l’époque, le marquis de Bologne Capizuchi, général émérite de Louis XV.

La retenue conséquente d’eau et la puissance hydraulique rendent alors possible le développement de la production de fonte et de fer à plus grande échelle.

Le sieur Charles François Michel devient bailleur des forges d’Ecôt propriété du marquis de Bologne en 1768 et y exerce son art de maître de forge. Ses deux fils (1767-1839 et 1768-1853) lui succèderont et reprendront l’exploitation. Ils développeront considérablement les usines et la production sur le site. en 1796, ils acquerront, en tant que bien national, le domaine d’Ecôt après la mort sur l’échafaud du marquis.


Ils feront par la suite de nombreuses autres acquisitions toutes dans un rayon d’une quarantaine de kms autour de leur fief d’Ecôt, de leurs forêts et de leurs gisements de fer. Ils gèreront ou deviendront aussi propriétaires des forges de Manois, Noncourt, Sionne, Morteau, Attignéville, Châtelet, Rimaucourt, Doulaincourt et La Crête.

Forts de ces outils et de leur savoir-faire, ils élaboreront les meilleurs fers de Haute-Marne qu’ils vendront pour l’essentiel aux industriels parisiens et dans une moindre mesure lyonnais. L’un des frères dirige l’activité industrielle depuis Ecot alors que l’autre s’occupe de toute l’activité commerciale et financière sur Paris.

Sous l’empire ils sont parmi les 10 plus riches maîtres de forges de France. Après 1815 ils se situent dans les tous premiers producteurs nationaux de fonte et de fer. Cette réussite industrielle leur vaudra le titre de « Princes de la métallurgie haute-marnaise » et leur procurera une notabilité reconnue bien au-delà du département.


Après leur disparition, la nièce des frères Michel, seule héritière du domaine, épousa le comte Louis François de Beurges qui devint châtelain des lieux. Les activités métallurgiques seront alors confiées à Elophe Capitain, grand bâtisseur industriel, qui développera l’activité de ses prédécesseurs au rang d’empire. Celui-ci deviendra vers 1840 l’un des dix plus gros producteurs de fer de France. Mais la révolution de 1848 le ruinera et constituera le début du déclin inexorable de la métallurgie qui disparaîtra totalement d’Ecôt à la fin du XIXe.

L’âge d’or de la métallurgie à Ecôt et plus généralement en Haute-Marne n’aura duré qu’une petite centaine d’années.


Sources : Sütterlin Christian « La Grande Forge », Gilles Bertrand « Le Grand patronat », Delorme Philippe « Les frères Michel »